Chapitre 1
Les 2 royaumes
Des collines aux pentes douces d’un vert tendre. De modestes petites maisons bâties en pierre, séparées par de grandes distances. Des lacs bordés de saules aux eaux d’un bleu profond. Voici le tableau charmant du royaume du prince Stéphane. Son château se dresse à l’entrée de la vallée, en amont du village. Le prince a posé son édifice intelligemment, dans la seule dépression creusée par l’ancien cours d’eau qui alimentait le lac où baigne aujourd’hui le village. Cette configuration offre un avantage considérable au prince : il est en première ligne pour les entrées et les sorties de son domaine, par sa seule volonté, il peut accueillir, congédier et repousser les itinérants et envahisseurs du royaume. Le château s’apparente à une grande et large enceinte de pierre qui ferme complètement l’embouchure de la vallée. La façade nord, en première ligne du royaume, ne compte que deux ouvertures : le portail, lourdement gardé, et une meurtrière, située dix mètres plus haut, donnant sur la chambre du prince, depuis laquelle il jouit d’une vue dégagée sur les plaines du Nord. La façade sud du château, tournée vers le village, est un peu moins austère. Elle est percée par de larges ouvertures derrière lesquelles des coursives permettent au prince de surveiller son royaume et de communiquer avec les villageois se présentant à lui. La cour du château est ceinturée par de larges arcades qui abritent de nombreuses échoppes où les villageois vendent leurs productions artisanales. Au centre, une large place pavée couronnée d’un préau fait office de halles pour les productions maraîchères. À chaque hiver, Les Halles se transforment en place des Fêtes où le prince donne de grandioses agapes pour offrir à ses sujets, souvent trop occupés à labourer leurs terres et à consolider leurs demeures, une occasion de se retrouver pour célébrer la fin des récoltes. Une vieille croyance païenne veut que pour avoir un printemps pluvieux, Ces fêtes doivent être généreusement bien arrosées…
Les habitants du royaume sont fiers de leur prince. « C’est un homme d’une grande droiture, toujours prêt à venir en aide au peuple ! ». Les villageois lui confèrent volontiers une partie de leurs récoltes en récompense de sa protection, mais le gentil prince, déjà comblé par sa dévotion envers son peuple, retournait inlassablement les présents à leurs propriétaires.
Le prince Stéphane, contemplait son royaume, chaque matin, et se plongeait dans de profondes réflexions à propos de son abnégation pour son peuple. Cette dévotion le comblait-elle suffisamment ? Selon son premier conseiller militaire, Le Nanterrien, le prince semble donner plus qu’il ne reçoit, et ce qu’il manque à Stéphane, le peuple ne peut lui offrir.
A plusieurs lieues de la vallée du prince Stéphane, en direction du Sud, se dressent les grandes forêts insondables des Bois Pentus, où demeurent de vieilles légendes empreintes de magie, de bêtes fantastiques et autres ensorceleurs. À la sortie de cette immensité verte, la végétation se raréfie, l’air est plus sec et des plaines habillées d’un rouge cramoisi, dessinent un horizon parfait.
C’est aux confins de ce désert que s’élève le royaume du prince Jérémy. De saillantes montagnes Rocheuses déchirent cet horizon tranquille, baignées de la lumière du soleil, elles illuminent ce vaste territoire comme un phare face à l’océan. Le massif rocheux blanc est constitué de pics affûtés venant percer les rares nuages de cette contrée. Au cœur de cette forêt de pierre, une imposante montagne, étêtée par d’ancestrales forces de la nature, soutien un large plateau sur lequel le prince a bâti sa citadelle.
Ne disposant pas de route praticable pour se rendre au village, Une plate-forme élévatrice actionnée par les villageois permet de se rendre aux pieds du royaume. Les denrées produites par les villageois et les marchands transitent également par cet ascenseur capable d’accueillir deux carrioles chargées et leurs chevaux de trait. Au bout de trente longues minutes d’ascension, la plate-forme s’immobilise au pied d’un colossal portail de chêne finement sculpté de frises illustrant la genèse du royaume. Ce portail, qui s’apparente plus à une arche, marque l’entrée d’un forum circulaire, pavé de mosaïques éclatantes, représentant un mythique serpent ailé. Cette chimère fantastique encercle une fontaine centrale, crachant des geysers d’eau cristalline à plusieurs mètres de hauteur. Tout autour de cette place, sont érigées des maisons hétéroclites et colorées de conception singulière où la population entre et sort en toute liberté. Le forum est vivant, plusieurs attroupements se forment régulièrement autour d’audacieux villageois désireux de partager leur art ou leurs idées. Il n’est pas rare d’assister à des joutes d’esprits entre différents habitants, créant encore plus de tumulte sur cette place déjà très animée.
A l’opposée du portail, à l’autre bout de la place, une étroite avenue étranglée par des commerces et des étals maraîchers, serpente jusqu’au château du prince. Le château est à l’image du royaume : audacieux et inspiré. Ses murs et ses hautes tours sont constitués de livres savamment empilés. Des tableaux enchevêtrés dans les murs laissent passer la lumière du soleil et des sculptures viennent renforcer les parties les plus branlantes des fondations. Plus les tours s’élèvent, plus les piles de livres sont désordonnées et donnent une allure ivre à la bâtisse. Au cœur de ce vertigineux désordre littéraire, une terrasse hexagonale, où trône la chambre royale, est protégée par des voiles bariolés et criards filtrant les rayons du soleil et nimbant les appartements du prince de douces lumières colorées.
Du haut de son étrange nid, le prince insuffle à ses sujets sa joie de vivre et sa singularité. Intéressé d’avantage par l’esprit et la nouveauté, il encourage son peuple à faire preuve de créativité pour le royaume.
Le prince est toujours accompagné de son fidèle dragon de Pogonneau – une contrée de légende où seuls les plus braves osent s’aventurer -, une créature immense aux crocs acérés, pouvant déguster un poulailler entier pour son repas, mais qui par la volonté de son maître, se contentait d’engloutir une bonne partie des productions maraîchères des citoyens.
Les villageois sont des êtres insouciants joyeux et ouverts, ils aiment leur prince mais gardent toujours une appréhension quant à ses décisions et ses idées farfelues pour le royaume. Que penser d’autre d’un souverain qui a choisi de bâtir sa demeure au bord d’un précipice…
Conscient de sa faiblesse, le prince avait souvent recours aux intuitions d’une chaman des Bois Pentus : La Sagace. Cette femme des bois usait d’exotiques rituels pour aiguiller le prince dans ses décisions pour son royaume.
Malgré les conseils avisés de cette dernière, le prince peinait beaucoup à prendre ses responsabilités, et finissait par entrer dans des ires qui faisaient trembler les tours du château jusqu’aux os des villageois.
Mais lors d’une énième entrevue spirituelle, La Sagace entra dans une transe inhabituelle et révéla au Prince une étrange prophétie :
« Tes pensées engluées sclérosées, écartelées, ton palpitant incandescent, bouillonnant, débordant, l’un tu donnes à l’autre et aux autres tu ne devras plus rien ! »